• Invictus / Josey Wales

    *originellement publié le 9 décembre 2013*

    J'ai revu Invictus, de Clint Eastwood. C'est un peu d'actualité, de célébrer Mandela, au jour de son décès. Je ne vais pas parler de Mandela, mais du film et de ce qu'il peut représenter dans la filmographie d'Eastwood.

    Invictus / Josey Wales

    Invictus n'est pas un film surprenant dans la carrière de son réalisateur. Je n'ai besoin de citer qu'un seul film pour le prouver : Josey Wales, Hors la loi. Bien entendu, l'époque, le lieux et les personnages sont différents. Et il n'y a pas de président sud-africain dans Josey Wales. Mais les thèmes sont finalement assez similaires.

    Invictus / Josey Wales

    Petit rappel. Josey Wales a été réalisé par Eastwood (qui joue aussi le rôle titre) en 1976, soit environ trois décades et des poussières avant Invictus. Josey Wales raconte l'histoire d'un homme du Missouri (territoire sudiste), fermier tranquille, qui voit sa vie bouleversée par l'arrivée d'une petite cohorte de nordistes venus tout saccager. Femme, fils, maison, tout disparaît dans les flammes. Laissé pour mort, Josey se relève, enterre sa famille, et est recruté par une petite troupe de rebelles sudistes qui ne veut pas de l'armistice. Nous sommes à la fin de la Guerre de Sécession, l'Amérique, meurtrie, doit se relever et se reconstruire. Dans ce tumulte, Josey refuse la paix et veut se venger coûte que coûte, il n'a plus rien à perdre. Dans son périple, il rencontre un vieil indien, qui deviendra son allié et ami, une caravane un peu disparate qui cherche une nouvelle maison et qu'il intégrera peu à peu... et finira par s'établir pas loin d'un territoire indien, avec qui il négociera le droit de rester. Mais ils sont rattrapés, et Josey va pouvoir assouvir sa vengeance... C'est très résumé. Mais qu'importe, l'essentiel est là. Josey est un homme meurtri, dans une Amérique divisée, qui veut se venger mais qui apprend qu'on peut vivre ensemble. Il parviendra à se réconcilier, pas tout à fait, mais un peu quand même, avec la vie, avec les autres, quelle que soit leur origine (nord, sud, blanc, indien, etc.) Il en fait, des kilomètres, pour arriver là.

    Invictus, c'est un peu le Josey Wales qui aurait compris dès le début qu'on peut se réconcilier, au lieu de chercher à se venger. Je ne veux pas dire que la Guerre de Sécession et l'Apartheid, c'est la même chose (manquerait plus que ça), mais à l'échelle d'un homme pris dans cette tourmente, une guerre est une guerre. Le rapport que je vois entre Josey et Invictus, ce sont les thèmes abordés.

    Nul voyage pour Mandela, qui a déjà eu une vie difficile et tumultueuse, à l'instar de son peuple, avant d'être libéré et élu président. Au début du film, il est déjà là, il prend ses quartiers dans les bureaux du gouvernement. La guerre, pour ainsi dire, est finie. Le peuple est divisé. Doit-on faire payer aux blancs ce qu'ils ont fait subir aux noirs durant toutes ces années ? La question est compréhensible. Mais malgré les pressions et l'animosité, Mandela choisit une autre voix : la réconciliation. Nous vivons dans le même pays. Nous vivons dans les mêmes villes. Pourquoi devrions-nous nous haïr et détruire, alors que nous pouvons être ensemble et construire ? Mission difficile s'il en est, de tirer un trait sur le passé, les brûlures, les cicatrices, pour ne regarder que l'avenir. Il avait peut-être eu le temps, en prison, de réfléchir à tout ça. Destin incroyable de celui qu'on nommait Madiba, décédé à l'âge de 96 ans, devenu une figure emblématique de l'Afrique du Sud et de la paix.

    Pour Josey, le drame est récent. La guerre l'avait jusque là épargné, il était du genre « cultivons notre jardin. » Une ferme isolée, une famille, ça lui convenait tout à fait, et les préoccupations politiques nord/sud ne l'atteignaient pas du tout. Il ne prend part au combat que lors que ça le touche directement et qu'il perd tout ce qu'il avait. Sans famille ni maison, il n'a plus que ses tripes pour avancer. La réconciliation et le vivre ensemble ne lui viennent que sur le tard, après avoir rencontré ces voyageurs sans toit, désœuvrés, laissés pour compte eux aussi, mais qui lui étaient de prime abord hostiles, car venant du sud et s'étant fait une réputation de tueur sans foi ni loi. Même à la fin, alors que Josey et Fletcher (le chef de la bande de rebelles qui l'a trahi et poursuivi sans relâche) sont face à face, Josey blessé, ils enterrent la hache de guerre. La guerre est finie, et elle a massacré les hommes aussi bien que leurs âmes. "We all died a little in that damn' war". Josey peut partir en paix, et l'histoire ne dit pas s'il survit à ses blessures. (Parait que quelqu'un a fait un Retour de Josey Wales dans les années 80.)

    Réconciliation. Pour Mandela, l'idée est déjà là. Pour le peuple, en revanche... Il faut apprendre aux Springboks (les joueurs de rugby blancs) à faire équipe avec les noirs. Il faut demander aux noirs à pardonner aux blancs. Il faut rassurer les blancs et leur donner confiance, non, on ne va pas vous ratatiner la figure et vous virer de vos maisons. Dans un tel climat post-apartheid, ce n'est pas facile, et tout le monde est suspicieux. Chacun a du mal à accorder sa confiance à l'autre. Mais au final, il y a cette victoire de l'équipe ("une équipe, un pays"), qui montre qu'on peut accomplir de grandes choses ensemble, quand nous ne sommes pas en train de nous massacrer.

    Le message est là. Après, on peut reprocher à Eastwood de ne rien connaître au rugby, ou de tomber dans des facilités pour passer l'information. Il est vrai que la manière de filmer l'action sur le stade est digne d'un épisode d'Olive et Tom, mais passons... ce n'est pas un film sur le rugby, et ce n'est pas si grave que ce soit mal retranscrit. C'est un film sur une équipe, sur un pays, sur des hommes qui réapprennent à avancer ensemble.

    Le thème n'est donc pas nouveau chez Eastwood. Même Gran Torino en parle (vivre avec ses voisins Hmong), et à leur manière, même Chasseur Blanc, Coeur Noir, et Créances de sang en parlent. Il ne s'agit pas d'effacer les différences, mais de les accepter et les respecter. Et venant d'Eastwood, ce n'est en rien étonnant. A cause de la légende noire qu'une journaliste a brodée sur Dirty Harry (comme quoi, c'est facho, donc Eastwood est un méchant bonhomme), on a entendu tout et son contraire sur le réalisateur. Facho ? Certainement pas. Il est pour les libertés (individuelles et économiques), pour lui, chacun devrait être libre de mener sa vie comme il l'entend, quelle que soit son origine ethnique ou son orientation sexuelle (il l'a déjà affirmé à plusieurs reprises), et il suffit de regarder ses films pour le comprendre.

    Et quelle différence y a-t-il entre un Dirty Harry désabusé qui, devant l'incompétence de la police, va faire justice lui-même, et un super héros/justicier masqué, qui, devant l'incompétence de la police, va faire justice lui-même ? On encenserait un justicier faisant des milliers de morts, mais incriminerait Harry qui dézingue un tueur en série ? Ce qui serait bon pour des comics ne le serait pas pour un film policier ? Mouais.

    Revenons-en donc à Invictus, porté par les formidables Morgan Freeman et Matt Damon (entre autres), qui, sans être exempt de défauts (la polémique de la victoire sud-africaine – équipe adverse malade – , trop de sentimentalisme, maladresses vis à vis du sport, incohérences, etc.), est un beau film sur la reconstruction et l'espoir d'un peuple uni malgré le passé et ses différences. Le plan sur le visage du Spingbok qui marque le but de la victoire (interprété par Scott... Eastwood), ressemble presque à une déclaration d'amour à son fils. Et à une déclaration à une histoire, à un peuple qui gagne à être ensemble.

    N'oublions pas qu'Eastwood n'écrit pas ses films. Il choisit les scenarii qui l'inspirent et décide de les mettre en scène. Du côté historique, il faut voir aussi le (un peu trop?) long J.Edgar, qui retrace la vie de Hoover, et son rôle au sein du FBI, qu'il a créé. Un homme visionnaire, qui a développé d'excellentes méthodes d'investigation (la police scientifique), mais aussi un homme manipulateur, loin d'être totalement honnête, qui déforme l'histoire à volonté et abuse du pouvoir qu'il a travaillé à obtenir. Le film ne traite pas Hoover en héros, ou alors en héros tragique, avec ses faiblesses, ses démons, ses travers, mais en aucun cas ne le porte aux nues et ne le lave de tout soupçon. Un homme finalement incapable de vivre avec les autres. Mais ceci est une autre histoire...


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :